Thursday 4 January 2018

Semaine 6. Les vertébrés marins: toujours sensibles? Le débat I :


Avec les poissons, le problème des autres esprits prend un autre caractère…

8 comments:

  1. Plusieurs choses me choquent dans ce texte.

    Tout d'abord, il est assez ridicule que Brian Key utilise comme point de départ les structures neuronales que les humains actuels utilisent pour ressentir la douleur pour tenter d'en déduire les bases minimales chez d'autres espèces. S'il avait examiné notre capacité à nager, il en aurait certainement conclu que les poissons en sont incapable puisqu'ils n'ont pas de bras ni de jambes et ne peuvent donc pas utiliser nos techniques de natation. Son rejet en deux phrases de l'idée que les poissons pourraient potentiellement utiliser d'autres structures que nous n'est clairement pas assez bien défendue pour contrer la faible structure logique de son argument principal.

    Pires que le problème argumentatif, les expériences mentionnées dans le texte sont franchement troublantes. Je comprends qu'il n'est pas évident de trouver un protocole respectueux des animaux pour évaluer leur capacité à ressentir la douleur, mais passer un bon bout de temps à lire les multiples expériences ou des scientifiques ont électrocuté des rats à répétition, collé des papiers imbibés d'acide sur des chiens, électrocuté des poissons, infligé des lésions cérébrales spécifiques sur pleins d'animaux différents, et même procédé `l'ablation complète du cortex sur des singes (!) avant de leur passer une batterie de test sur la perception de la douleur ne peut me laisser indifférent. J'ai de la misère a m'imaginer que ce sont des humains qui ont fait tout cela, et des réflexions sur les expériences de Milgram me reviennent en tête à chaque fois que j'y pense.

    ReplyDelete
    Replies
    1. Thomas, tu as tout à fait raison sur les deux points.

      1. L’article de Key est cortico-centrique, comme s'il n'y avait pas d'autre moyen de générer la sensibilité à la douleur que le moyen qui a évolué chez les mammifères. (Est-ce que la douleur n'a pas de valeur adaptative que pour les mammifères? Pourquoi?)

      2. Et puis la réalité déchirante c’est que la recherche sur la douleur qui se fait au laboratoire — qu’elle se fasse pour la santé humaine ou pour la santé des poissons — est monstrueuse: La seule chose qu’on peut dire à sa défense (mais est-ce une justification?) c’est que ce qui ce fait à l’abattoir n’a même pas l’excuse d’être fait pour la santé de quiconque.

      Delete
  2. J’ai plusieurs commentaires épars sur ce texte :

    Je suis d’accord avec toi Thomas, les expériences qui ont été infligées aux animaux sont horribles. Ce qui m’a aussi choqué c’est que Key ose affirmer que les coûts de l’anthropomorphisme présentent des « enjeux non négligeables ». Prendre le risque de blesser un être ressentant de la douleur est-il vraiment moins grave que d’imposer des restrictions législatives pour les activités reliées aux poissons, comme la pêche ? J’ai aussi du mal à concevoir que pour les peuples vivants de la pêche de telles restrictions pourraient avoir des effets néfastes. Au contraire, imposer des restrictions législatives favoriserait la pêche locale des petits entrepreneurs au détriment de la pêche en gros des multinationale raclant le fond des océans. Cela donnerait le temps aux poissons de prospérer et se multiplier, ce qui serait également bon du point de vue économique sur le long terme. En fait, je ne vois pas comment l’anthropomorphisme pourrait être néfaste d’aucun des points de vue amenés par l’auteur.

    Comment pouvons-nous juger des comportements qualitativement normaux des poissons ? Des êtres pour la plupart non-sociaux et très différents des mammifères.

    C’est intéressant de voir que Key admet que pour l’humain différentes zones corticales soient impliquées dans la douleur, mais qu’il ne l’accepte pas dans le cas des poissons.

    La prémisse sur laquelle repose toute la thèse de Key est biaisée. On l’a vu dans le cours précédent : deux structures différentes chez deux espèces différentes peuvent avoir des fonctions similaires. La structure n’implique pas la fonction, les organismes se sont développés différemment au cours de l’évolution. Par exemple de la rétine chez les humains et l’ommatidie chez les arthropodes sont structurellement différentes, mais fonctionnellement similaires. Alors pourquoi Key cherche les caractéristiques d’un organe dans un autre organe qui n’a rien à voir ?

    ReplyDelete
    Replies
    1. Bien d'accord avec ton point sur la vision. Les cellules optiques sont apparues bien avant les premiers arthropodes, et les yeux ont évolué de façon indépendante de multiples fois (entre 6 et 50+ selon les auteurs). Avec la démarche de Key, l'examen de la structure de l'œil humain nous interdirait de conclure que nos ancêtres évolutifs étaient capable de voir.

      La vision est un intéressant mélange d'homologie et de convergence qui aide la réflexion sur la conscience: les cellules optiques sont presque toutes les mêmes, mais les structures macro (les yeux) ont évolué indépendamment de multiples fois en réponse à des contraintes environnementales similaires. Le résultat est que plusieurs espèces radicalement différentes 'voient' même si ils ne voient clairement pas 'de la même manière'.

      Delete
  3. Pour une idée plus claire du degré de dissonance cognitive (intérêts commerciaux versus les données scientifiques) qui rentre dans l'argumentation de Key, il faut lire ses réponses aux commentaires. Est-ce que ça vous rappelle quelque-chose de semblable qui est en jeu depuis 5 jours?

    ReplyDelete
    Replies
    1. Un peu en lien avec cela, c'est parfois dure de noter la dissonnace cognitive tant qu'on n'a pas accès à l'ensemble des commentaires critiques, comme c'est souvent le cas pour les autres journaux. Mon commentaire est simplement pour mentionner qu’il est parfois dur de juger des études utilisant les données d’imagerie cérébrale. Un auteur comme Key peut citer plusieurs études en nommant de nombreuses structures et de de nombreuses connections, en rapportant que dans des études précédantes, celles-ci avaient été corrélées avec différentes capacités. Déjà, c’est dur à comprendre ce que cela veut dire. On peut en déduire que s’il a raison et que si les études étaient bien faites, effectivement, ces structures peuvent avoir un rôle à jouer dans le processus qu’il étudie. Mais savoir qu’une structure a un rôle à jouer permet d’inférer bien des conclusions possibles, mais ça reste difficile dans conclure quoi que ce soit. De pus, je trouve ça difficile à départager le fait qu’il cite ou non seulement les études qu’il considère valide avec son point de vue. Je ne e sens pas armé, pas mon manque de connaisances de la littérature, pour juger si les études qu’il cite sont pertinentes, mais surtout, si ses conclusions sont bonnes. Quand je lis le commentaire de Devor Marshall, celui-ci explique qu’en fait, Key, ne cite que quelques études et interprète mal les données de ces études. Il ajoute que Key ne semble pas avoir de connaissance des données des 50 dernières années en citant par exemple, que Key explique que la douleur disparait quand on fait une lésion à la voie spinothalamix, mais il ne fourni qu’une référence, alors que Marshall explique que 50 années de données montre que cette opération ne soulage pas durablement et que les douleurs reviennent. C’est le même genre de commentaires qui proviennent d’autres critiques à son égard comme celles de Merker Bjorn, pour sa part, il dit que Key interprète mal lorsque celui-ci dit que l’ablation du tectum visuel du goldenfish n’affecte pas la réponse de fuite, alors que Bjorn explique que le tronc cérébral fonctionne encore et que ce n’est que les triggers visuels de la réponse conditionnée qui disparaissent. Ça fait 3 réponses de commentaires qu’ils se sont écrits pour dire que l’un a tort et que l’autre ne comprend pas. Ce qui me trouble c’est que ce sont des mêmes données qu’ils parlent, mais l’interprétation change considérablement. De plus, le choix des références utilisées importe beaucoup, quand on peut omettre de présenter certaines qui ne favorise pas notre thèse. À quel point Key est maladroit versus malhonnête, ça je ne sais pas. Cela dit, comme on a fait en classe, on peut juger ses interprétations et remettre en question ses prémisses, comme celle de penser qu’on doit se baser sur l’humain pour trouver les mécanismes de la douleur, mais c’est parfois dur de remettre en cause certains éléments qu’il avance, sans aller lire la source première. C’est évident, mais pas facile à toujours faire en pratique à moins de bien connaître la littérature en premier lieu.

      Delete
  4. Les réactions sont presque unanimes ; l’article de Key est biaisé, tant sur le plan de la structure argumentative que sur l’échantillonnage des données et leur interprétation. Toutefois, il faut admettre qu’il suscite l’échange et le débat, et en ce sens, il contribue au développement de la réflexion sur le sujet.

    Robert Jones, dans son commentaire sur l'article de Key, apporte une distinction intéressante parmi les formes d’anthropomorphisme. Il remarque que l’anthropomorphisme non nécessaire attribue des caractéristiques humaines alors que le comportement pourrait être expliqué autrement, alors que l’anthropomorphisme biocentrique fait intervenir les termes humains pour expliquer des phénomènes qui ne sont pas humains. Par rapport à la deuxième forme d'anthropomorphisme, c'est-à-dire l’utilisation des concepts humains lorsqu’il s’agit de l'esprit des animaux, je suis mitigée. D’une part, il me semble qu’étant donnée les différences qui surviennent au travers des structures convergentes ou homologues (par exemple avec l’œil comme l’ont mentionné Clélia et Thomas), on peut difficilement s’accorder sur l’usage du concept pour caractériser ces formes de vie différentes qui ne peuvent nous communiquer leur façon de percevoir. Toutefois, la vision, tout comme la douleur, me semble être des concepts assez larges pour inclure les sensations des autres espèces. En effet, nous sommes différents des autres espèces, mais pas totalement. En ce sens, nos sensations sont probablement différentes, mais pas totalement. Culum Brown fait une remarque dans son commentaire qui va dans ce sens. Il mentionne que la différence entre les facultés des vertébrés semble être plus en degré qu’en type.

    Si l’utilisation du concept de douleur est acceptée, il reste à identifier l’hypothèse nulle (jusqu’à l’obtention d’une preuve scientifique convaincante que les poissons ressentent la douleur). Dans le même ordre d’idée, si l’on accorde la douleur à l’ensemble des vertébrés, comme le fait remarquer Culum, la meilleure hypothèse reste de l’accorder aussi aux poissons. Il est peu probable que spontanément, dans l’histoire de l’évolution des vertébrés, soit apparue la douleur.

    L’étude des autres formes de vie que les vertébrés nous emmènera probablement d’autres pistes de réflexion (ce qu’omet de faire complétement Key, qui reste fixé sur le cortex).

    ReplyDelete
  5. J'ai trouvé très intéressant le commentaire d'Alfredo Pereira au texte de Woodruff, puisqu'il soulève une assomption qui est faite dans quasiment tous les textes que l'on a étudié : "la doctrine du neurone". D'après cette approche, dominant les neurosciences et la philosophie de l'esprit depuis maintenant plus d'un siècle, c'est l'activité des neurones qui est à la source du phénomène de la conscience. Bien que cette théorie soit tentante et que les données empiriques la supportant soient nombreuses, elle se heurte évidemment au problème difficile puisqu'une fois les fonctions cérébrales expliquées via des modèles de la transmission de l'information entre les populations de neurones, il ne reste plus vraiment de place pour justifier la présence d'une expérience subjective. Pereira propose ici une alternative, l'émergence de la conscience à partir d'ondes "hydro-ioniques" générées aussi bien par les neurones que par n'importe quel tissu vivant. Bien sûr, cette hypothèse ne règle pas les difficultés rencontrées par la doctrine du neurone (problème difficile), mais elle suggère au moins que des alternatives existent à cette théorie, et que restreindre toute investigation de la conscience à une investigation de ses bases neurales pourrait s'avérer limitant, et ultimement ne pas offrir d'explication satisfaisante. Ainsi, Pereira se range plutôt du côté de Woodruff en assurant que les poissons sont dotés de conscience, mais pas pour les mêmes raisons : ça n'est pas l'architecture fonctionnelle du système nerveux central des poissons qui en est l'origine, mais plutôt leur cytoarchitecture, dont les neurones ne serviraient "qu'à" en exploiter les propriétés. Le problème difficile est toujours présent, mais un changement de paradigme peut ainsi être effectué, ce qui est peut-être un point de départ intéressant à l'élaboration d'une théorie de la conscience plus puissante que nos modèles connexionnistes actuels. En l’occurrence, ce que je trouve d'attirant dans une théorie comme celle-ci est la facilité avec laquelle elle peut s'associer avec des hypothèses enactivistes comme celles qui accompagnent le "free energy principle" et le "predictive coding" proposés par Karl Friston. Ces hypothèses sont, pour moi, les meilleures tentatives contemporaines pour tenter d'expliquer le ressenti et sa structure.

    ReplyDelete